En 1600, Oyonnax
n'est qu'une bourgade rurale de 500 habitants qui tirent leurs
maigres ressources d'un sol ingrat. Le fond de la vallée
est couvert de marais et rempli de blâches. Les flancs rocailleux
de la montagne n'offrent guère plus de ressources à
la culture. En revanche, la montagne est couverte de magnifiques
forêts de sapins qui sont une véritable richesse et
entre les rochers croît le buis, bois au grain fin et serré.
Ces bois, les habitants vont les façonner pour occuper leurs
longues veillées d'hiver et il va donner naissance à
des industries diverses comme la tournerie, la tabletterie, et pour
Oyonnax surtout, le peigne.
Sans vouloir accorder trop de crédit à la belle légende
de Saint-Léger,
on note
cependant que l'industrie du peigne est très ancienne. Les
archives locales ayant été détruites, il faut
attendre 1667 pour voir mentionnés des « faiseurs
de peignes » à Oyonnax (Pierre Bollé est
le premier cité). Encore, cette fabrication n'est elle qu'une
industrie d'appoint durant la mauvaise saison. Dès le printemps
revenu, les « faiseurs de peignes » partent
la balle au dos vendre le fruit de leur travail ainsi que les marchandises
communes à tous les colporteurs : épingles et
aiguilles, lacets, boutons, rubans. L'été, ils redeviennent
laboureurs, reprennent les outils du paysan et cultivent au mieux
leur terre ingrate. Fin septembre, beaucoup partent comme peigneurs
de chanvre en Bresse, en Bourgogne, en Lorraine et reviennent au
moment de Noël.
Le procédé de fabrication du peigne, entièrement
manuel, témoigne déjà du bon sens pratique
et de l'ingéniosité qui ont fait la réputation
de l'artisanat oyonnaxien.
La lame de buis est d'abord dressée en forme et en épaisseur
à l'aide d'une lime grossière appelée « écouanette ».
Cette pièce est alors fixée sur « l'âne »,
sorte de tenaille placée sur un établi posé
lui-même sur une sorte de banc où l'ouvrier se place
à cheval. Cet « âne », véritable
étau, est muni à sa partie supérieure d'une
corde qui se manoeuvre au pied, serrant ou relâchant le peigne
selon les façons à lui donner.
Puis on taille les dents, opération délicate réalisée
avec « l'estadou », genre de scie à
deux lames parallèles réglables en distance selon
l'intervalle que l'on entend donner aux dents. L'une des dents de
cette scie est plus longue que l'autre et finit ainsi ce que la
première n'a fait qu'ébaucher.
Il faut ensuite arrondir les angles des dents, et les polir :
c'est le travail du « grêleur » dont
l'outil, la « grêle », sorte de lime,
use les angles vifs alors qu'un autre outil, « le carrelet »,
affûte l'extrémité des dents.
Le polissage se fait à la main, à l'aide de cendres
et de « poudre de Tripoli » et l'ultime lustrage
est donné avec la paume de la main.
Le peigne ainsi réalisé est généralement
livré dans sa couleur naturelle. Cependant, pour satisfaire
les caprices de la mode, un procédé pittoresque permet
de lui conférer une splendide couleur rouge-brun. Les lames
de buis non encore travaillées sont placées dans des
cages à claire-voie et descendues dans des fosses où
l'on entasse du fumier que l'on arrose périodiquement. Après
un long séjour, les pièces de buis sont retirées,
mises à sécher lentement, plongées ensuite
dans un bain chaud de campêche et d'alun, séchées
à nouveau, puis enfin façonnées. Le peigne
présente alors à l'extérieur une magnifique
teinte rouge palissandre, alors que les veines du buis donnent de
splendides reflets et que les dents apparaissent en clair dans leur
épaisseur.
À cette époque, le même ouvrier réalise
entièrement le peigne (une douzaine à une douzaine
et demie par jour). Le modèle est d'ailleurs unique :
c'est le peigne à décrasser. Nous sommes à
l'époque des corporations et de leur règlementation
sévère : même le nombre de dents est imposé.
Toutefois, il ne semble pas qu'il y ait eu de Jurande ou de Maîtrise
de corporations à Oyonnax. Par contre, Paris, qui est le
grand centre du peigne en France, compte plus de 200 maîtres
qui ont formé la Corporation des Maîtres Peigniers,
Tablettiers, Tourneurs et Tailleurs d'Images, dont le patron est
Saint-Rambert.