La Grande Vapeur
.jpg) |
1820-1918 : le règne du peigne
1820-1880 : la corne
De
1820 à 1830, il y a un changement d'orientation. Des
ouvriers qui sont allés travailler à Lyon, où
l'on fabriquait alors le peigne, en reviennent avec des idées
nouvelles. La corne fait son apparition à Oyonnax vers
1820. Elle vient de Suisse ou de Savoie, mais les meilleurs
qualités seront importées du Brésil,
d'Irlande, du Paraguay, d'Afrique du Sud et de Madagascar.
Le travail de la corne était le suivant :
- Les cornes
étaient d'abord triées et rangées selon
leur taille, leur poids, leur forme et leurs couleurs. Les
cornes jugées impropres à la fabrication du
peigne étaient revendues pour des fabrications fantaisie :
poissons, oiseaux, trompes de chasse...
- Ensuite,
on sciait la pointe de la corne (partie pleine). Ces pointes
étaient revendues et selon la grosseur, la grandeur
et la couleur, servaient à faire des tuyaux de pipe,
des manches de couteaux et de fourchettes, des poignées
de sabre...
- Ensuite,
on sciait le rouleau, partie située juste derrière
la pointe. Ces rouleaux étaient aussi revendus et servaient
à faire des manches de blaireaux, des tire-bouchons,
des coulants de serviettes..
|
- Les cornes
absolument blanches étaient sorties des lots et revendues
à Thiers, à Eyzies (Eure) et dans l'Ariège
à des fabricants spécialisés dans le
peigne blanc en corne naturelle dite « corne d'Irlande ».
Les cornes étaient ensuite mises à ramollir
dans un four à bois à deux étages et
tenues dans une pince à becs plats et larges. Elles
étaient fendues à la « goyette »
(serpe) d'une manière qui variait avec la forme de
la corne, et ouvertes, afin d'obtenir une plaque de corne
la plus rectangulaire possible.
- Les cornes
fendues et ouvertes trempaient alors de 15 jours à
un mois dans de l'eau pour détremper les parties cartilagineuses.
- Après
ce trempage, les plaques de corne étaient passées
à la fraise pour enlever toutes les parties cartilagineuses
détrempées et on obtenait alors une plaque de
corne pure.
- La dernière
opération consistait à faire passer les plaques
de corne à la presse hydraulique, chauffée à
la vapeur. Pour cela, les plaques étaient trempées
rapidement dans un bain d'huile végétale (ou
à la rigueur dans un bain de suif) afin de faciliter
leur glissement au moment de l'aplatissement par la presse.
On obtenait des plaques prêtes à être travaillées
et dont l'épaisseur uniforme allait de 20/10° à
60/10°.
- Intervenait
ensuite la fabrication du peigne proprement dit, avec les
opérations classiques d'entrecoupage, de rognage...
Les déchets,
très importants aux différents stades de la fabrication,
étaient revendus pour faire des engrais organiques (la
corne contient 16 % d'azote). La couleur blonde obtenue
par passage à la presse hydraulique provenait du soufre
contenu en quantité abondante dans la corne et qui colorait
celle-ci sous l'effet de la chaleur.
La première
presse à aplatir remonte à 1815 mais c'est
vers 1825 qu'elle fera son apparition à Oyonnax.
En 1831, on compte 35 presses à aplatir et
en 1860, 120 presses produisent journellement 240 grosses
de peignes (une grosse = 12 x 12).
À mesure que la fabrication se développe et se
modernise, l'ouvrier-cultivateur déserte peu à
peu les champs pour se consacrer uniquement à la fabrication
du peigne. De véritables usines se créent :
Bollé (1822), Odobet (1826), la plus importante, où
travaillent la moitié des ouvriers oyonnaxiens, David
à Nantua (1825), qui va préparer en grand le clampon
et le revendre à Oyonnax.
En 1832 se fonde la maison Poncet et Mercier
qui amène une véritable révolution dans
la fabrication du peigne. Elle fait venir de Paris des ouvriers
spécialisés, ce qui permet de sortir de la routine
et de faire des articles jusque-là inconnus dans la région.
C'est de cette époque que le peigne prit les formes les
plus variées et les plus élégantes (peigne
à chignon, peigne « à retaper »,
peigne à moustaches...). Cette importante maison disparaît
vers 1845 mais presque tous ses ouvriers se mettent à
fabriquer des peignes pour leur propre compte, chacun dans sa
spécialité. La fabrication du peigne prend un
essor qu'on n'aurait jamais soupçonné.
Parallèlement, les première maisons commerciales
apparaissent : la maison Recordon qui disparaît vers 1832,
la maison Gallet (1828-1834). MM. Recordon et Gallet sont,
semble-t-il, les deux plus anciens négociants qui aient
eu des voyageurs. En 1830, Marie-Philippe Convert crée
une affaire de négoce qui va prendre rapidement de l'extension.
Enfin, en 1832, Bollé décide de vendre lui-même
se production en éliminant les intermédiaires.
Tout au long de cette période, d'ingénieux mécaniciens
vont mettre au point des outillages qui vont accroître
production et qualité.
|
.jpg) |
En 1845,
deux ouvriers oyonnaxiens, Didon et Dommange, inventent la fraise
à canneler, laquelle, placée sur un tour, à
pédales d'abord, puis mû par la force hydraulique,
va permettre de graver plus rapidement des articles de luxe.
Les artisans, véritables artistes, vont faire du peigne
un article de luxe, rare et cher (peignes « Girafe »).
On cite les noms de Chanal, Bricaud, Bardet, qui sont de véritables
artistes.
Le découpage
fait aussi des progrès : un ouvrier, Moniseur Humbert,
adapte la scie à ruban au découpage du peigne
à retaper. D'autres découpent au marteau ou à
l'emporte-pièce. M. Humbert met au point la première
machine à couper le peigne d'un seul coup de balancier.
Puis vers 1860, il invente la machine à couper cintré,
perfectionnée ensuite par M. Bondet. En 1871, M. Vuillermoz
apporte de Lyon une machine emporte-pièce qui rogne un
peigne en un seul coup de balancier.
|
La machine-sauteuse
qui façonne les dents du démêloir est introduite
par le Suédois Chave et utilisée dès 1850
par la maison Bonaz.
De leur
côté, les Aplatisseurs remplacent la presse à
coins par la presse à vis, qui permet l'aplatissage à
chaud, plus efficace et plus rapide.
La Maison Casella se fonde en 1862 ; cette maison
parisienne fait fabriquer à Oyonnax tous les articles
qui se font à Paris, jusqu'au peigne en écaille
véritable. C'est pour elle que le mécanicien Roemer
apporte de Paris la machine à entrecouper le peigne « à
retaper » (inventé en Allemagne). La maison
Convert, de son côté, a acheté vers 1860
à l'inventeur Vanoff le brevet du peigne en carton moulé,
durci et vernissé. Cette fabrication remarquée
par le jury de l'exposition des Comices de Nantua de 1863
prospère jusque vers les années 1880. On
voit donc ces deux maisons de commerce se doubler d'une fabrique.
Le ponçage, initialement exécuté à
la main, est remplacé par le ponçage mécanique
au rouleau de drap. Pour cela, on commence par utiliser les
forces produites par les deux ruisseaux, le Lange et la Sarsouille.
Peu à peu, les moulins des scieries sont transformés
en usines à peignes (Moulin du Confas en 1850, Grand
Moulin, Moulin Carré, Bozet). Avec le force hydraulique,
cannelage et ponçage progressent rapidement.
Cependant, les forces hydrauliques produites par nos deux ruisseaux
vont s'avérer insuffisantes, et les ouvriers tentent
de s'installer à Coiselet, Dortan mais ces essais ne
réussissent pas. C'est alors que quelques industriels
et financiers (Convert, Bolley, Dupuy, Andréan, Clerc,
Darmet) fondent une société pour demander à
la vapeur ce que l'eau ne fournit plus en quantité suffisante.
Cette société du Moteur Industriel (1865) construit
une puissante usine à vapeur qui permet d'assurer en
toutes saisons le fonctionnement des machines. De nombreuses
usines s'équipent alors à la vapeur : les
hautes cheminées surgissent donnant à la ville
un nouveau décor.
Durant
cette période, la population d'Oyonnax croît. |
En
1820 |
1158 |
En
1831 |
1981 |
En
1845 |
2593 |
En
1856 |
3329 |
En
1861 |
3501 |
En
1878 |
3272 |
En
1881 |
3877 |
Délaissant
la culture et les campagnes, les habitants se concentrent sur
le travail du peigne. Les structures elles-mêmes évoluent :
auparavant, l'ouvrier réalisait entièrement son
peigne et le commercialisait directement. Maintenant, chacun
se spécialise dans une passe déterminée :
découpage, cannelage, décoration, polissage...
L'ouvrier oyonnaxien individualiste de nature, et en cela encouragé
par le négociant, travaille à domicile. Son habileté
est remarquable et le mode de rémunération « à
la pièce » encourage la dextérité.
Il est surprenant de constater qu'il n'y a presque pas besoin
d'apprentissage. Dès son jeune âge, l'ouvrier oyonnaxien
vit dans le monde du peigne et les différentes passes
s'apprennent tout naturellement.
L'essentiel
de la commercialisation est effectuée par les négociants.
À partir de 1848, ils vendent dans l'Europe entière :
Suisse, Belgique, Espagne, Portugal, Autriche, Allemagne, Italie,
Angleterre.
À partir de 1860, une crise sans précédent
s'abat sur Oyonnax. L'impératrice Eugénie a rapporté
d'Espagne, d'où elle est originaire, la mode de la résille
(ou filet à cheveux) que s'empressent d'adopter les Dames
de la Cour puis les bourgeoises et bientôt l'ensemble
des femmes françaises. Plus de peignes ! C'est pour
Oyonnax une véritable catastrophe. Nombre d'ouvriers
quittent la ville alors que d'autres, plus opiniâtres,
tentent d'orienter leur habileté vers la fabrication
de divers articles : tabatières, bracelets, brosses,
pipes... La population diminue de 300 habitants entre 1866 et 1872.
Après la chute de l'Empire, l'industrie reprend un nouvel
essor, se spécialisant dans la fantaisie. Oyonnax fabrique
par millions des bracelets en corne dits « porte-bonheur »,
des pendants d'oreilles, des boucles de chapeaux, des fleurettes
ou rosaces. Les grands peignes, dits « Girafe »,
deviennent tout à fait à la mode en 1873
puis viennent successivement le peigne « Sarah-Bernhardt »
en 1879, les peignes à chignon monté, le
peigne creux moulé en 1880 et les épingles
à cheveux en corne en 1880.
Le chiffre d'affaires passe de 2 millions après 1870
à 4 millions en 1878.
La
suite... (vie sociale)
La
suite... (le celluloïd)
|
|